jeune écrivain(e) aux canines de cannibale, voici un résumé de ce qui t'attend si tu t'attèles à la réalisation de ton rêve : être publié(e).
Tu te creuses les méninges à la recherche d'une idée. Eurêka ! elle a jailli ; elle est lumineuse pour toi, évidente. c'est une bonne idée. Première règle : ne la RACONTE A PERSONNE ! j'ai bien dit PERSONNE, pas même à l'être cher ;il n' y a pas plus volatile qu'une idée, pas plus vulnérable, aussi ; une idée se vole à la vitesse de feu le Concorde. Elle court aussi vite qu'une rumeur et dans le pire des cas un auteur bas de gamme te la pique et pond en trois mois une daube tandis que tu n'auras que tes yeux pour pleurer. Donc, motus ! Parano extrème !
Puis c'est l'heure de l'échaffaudage, la plume court, les doigts crépitent sur les touches. qq pannes, de temps en temps. pas grave. tu crées véritablement ton bébé. il pousse, parfois facilement, parfois ingrat jusqu'à l'intolérable. Ton moral oscille entre tête de zombie et regard extatique qui renvoie ton quotidien à des nanoparticules.
Enfin, au bout d'un an (au minimum, sauf pour les fumistes ou les génies façon Simenon), ça y est ! Il est né.
Tu crois avoir atteint le sommet de la montagne; pas du tout : tu as juste franchi un col ridicule.
Tu as qq adresse, qq réseaux. la fleur aux dents tu expédies amoureusement le fruit de tes entrailles dans des maisons connues. Grossière erreur ; elles mettront 8 mois à te répondre que tu n'entres pas dans la politique éditoriale de la maison. Ou que, crise oblige, oui, c'est bien mais on réduit nos parutions de 40%, alors allez vous faire voire.
Tu passes à l'étage en dessous ; les moyennes maisons : elles, elles répondent la même chose mais par internet. gain de temps sur les mastodontes.
Un peu abattu(e) tu attaques les petites maisons ; petites maisons est un terme bien choisi : en général ils sont 4 au max. Ils répondent vite, et parfois oui.
l'un te dit oui.
tu signe ton contrat en pleurant de joie. Champagne !
Eh non, tu n'es qu'à mi-parcours. Il te reste à apprendre deux choses capitales : le succès inopiné d'un livre dépend de 4 trucs : une bonne couv, une bonne 4e de couv' , une distribution honnête et un attaché de presse qui a les crocs. Bon courage ! Car comme tu viens d'une maison toute petite, l'attaché de presse aura du mal à te vendre face aux batailles rangées de ses gros cammarades; mais qu'importe, tu es encore toute à la joie de ta prouesse, ton mari (femme) t'a répété que "ton livre sent bon", alors ? qui pourrait ne pas l'aimer...
Tu en envoies une palanquée aux media. tu soignes les dédicaces, pauvre abruti(e) alors que ton bien le plus précieux finit une fois sur deux à la poubelle dudit organe de presse. tu affrontes le silence de l'attaché qui ne sait pas comment te dire que ses appâts ne mordent pas.
Tu n'es pas vaincu(e). tu crées un blog. tu te vends, tu vas dans des soirées improbables, tu fais la pute, tu fausses ta voix et t'inventes un personnage pour harceler les rédactions.
Tu as entre 3 et 6 mois. Après, le livre est mort. Déjà deux mois de passés. Pas grand-chose. on a (un peu) parlé de toi (et encore, estime-toi heureuse). dommage, dommage, chaque nuit avant la publication tu avais paufiné ttes tes répliques face à Ruquier. toi qui as vécu ds un silence concentré durant un an te voilà ivre de paroles. paroles que tu ne prononceras jamais. Elle resteront un secret entre toi et ton miroir.
A ce stade, pense au second. il ne faut jamais désespérer. Pourtant tu as du mal : ta maison y croyait, toi aussi. L'attaché t'avait gavé de compliments. ils se fanent, jours après jours, dans ton parcours de marathonienne.
Bon courage, ami(e) ; sache que tu n'es pas le bienvenu dans ce milieu inflationniste où chaque nouveau roman est détesté par la cohorte des habitués.
Par instants, tu croies encore au miracle. es-tu une andouille ou un ravi de la crêche ?
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