Aller écouter Gérard Depardieu chanter son amie Barbara n'est pas un spectacle, mais une expérience, l'expérience de l'abandon à l'émotion la plus fine, la plus profonde, la plus sentimentale. C'est même difficile d'en parler. Mieux vaut commencer par le dépeindre:
Sanglé dans un costume noir - chemise noire - cravate-noire, l'homme arrive sur la piste avec la douce maitrise de ceux qui connaissent la portée de leur charisme. Le charisme, ce don extraordinaire, n'a rien à voir avec la séduction qui n'est qu' affaire de volonté, et tout à voir avec celui de la beauté : on l'a ou pas. Ce don injuste lui est supérieur : le charisme, les bénis - ou maudits - des dieux qui le possèdent, le gardent leur vie durant. Leur vie durant ils ou elles seront observé(e)s avec intensité, où qu'ils aillent. Dès que Depardieu pénètre dans un endroit, le souffle change de rythme ; il s'arrête. Les projecteurs s'allument sur l'acteur devenu chanteur, ne laissant aucune chance à son visage de cacher un secret. Ce visage, assez pâle, en contraste avec le sombre de la tenue, sera le champ de tout notre ressenti : Gerard Depardieu bougera peu, durant ces heures de grâce, il restera près du piano de Gérard Daguerre, il sera économe de ses gestes, mais notre regard, aimanté par la lumière, suivra pas à pas les expressions de l'interprête.
Vite, coupant court aux acclamations, il prend le micro et commence son récital, retenu, concentré, presque scolaire ; à peine une mélodie abordée que le charme poignant opère, dans un tourbillon neigeux de générosité : Depardieu va partager son amour pour Barbara sans filtre mais sans esbroufe, porté par une subtilité sourde, une simplicité à pleurer, et aussi par sa voix, la plus belle voix masculine du cinéma français. Et de loin. On peut évoquer les habituels Noiret/Piccoli/Marielle/Rochefort, la voix de Depardieu les écrase - elle n'a pas de rivale. Si claire, si tendre, si nette. Pas une once de métal dans sa tessiture, pas de stridence, pas de sécheresse, pas de mignardise, pas d'artifice. Une voix faite pour sublimer la langue française, la dépouiller de sa monotonie, lui révéler sa sensualité. Une voix nasale sans accent nasillard. Une voix qui vous explose le coeur, en douceur.
Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous. Cette chanson-là, il l'a chantée avec un amour d'une telle sincérité que j'ai pu, l'espace d'un instant, voir Barbara sourire dans son corps. Au service de Barbara, abandonné à Barbara, au pays de la confiance, Il était dans les airs. Dans les airs, mais quand Depardieu dit "je vous aime", chaque spectateur découvre ou redécouvre la puissance de cette phrase. Lorsque Depardieu dit "mon ange", il nous habille de la tendresse des anges.
La fin, les rappels, les roses blanches, les saluts, son grand sourire, son intensité qui ne retombe pas, la notre, qu'il nous a injectée en perfusion... nous sortons, essorés, sonnés et heureux. Merci, chère Marguerite, de m'avoir invitée. A la rose blanche que Gérard t'a donnée : c'est le signe d'en faire bon usage. L'amour ne meurt jamais...